À travers les articles de ce blog, je tente toujours de faire connaître le métier de photographe et les différentes facettes de leur vie. Comme il s’agit d’un métier non-conventionel, les gens s’imaginent souvent que notre vie est artistique, pleine d’arc-en-ciel et que finalement on vit en toute liberté. Bien que je puisse majoritairement parler en me basant sur mon travail et ma façon de le gérer, je crois que cet article permettra à plusieurs photographes professionnels de s’y reconnaître. Dernièrement, une étudiante en photographie qui allait à la rencontre de ses premiers contrats, un peu inquiète par rapport à ses débuts, m’avait posée une question bien simple: «Un photographe professionnel, est-ce toujours nerveux avant une séance?»
J’oserais répondre «oui», mais un oui avec une bonne dose de «mais». La nervosité vient en conséquence de plusieurs aspects d’un contrat ou du travail, certains aspects augmentent considérablement le niveau de stress d’un photographe et d’autres vont plutôt faire l’inverse et le calmer. La personnalité du photographe jouera aussi un rôle important, car oui quelqu’un qui est à la base plus nerveux risque de l’être plus que quelqu’un qui a un tempérament calme et détendu. La plupart du temps, on se met dans la peau du client et on se dit que c’est normal qu’un client soit nerveux à l’idée de poser. Pourtant, on se questionne rarement pour le photographe, on prend pour acquis qu’il fait son travail et que c’est routinier. Toutefois, faire le clown devant un groupe de 12 personnes comprenant 3 personnes qui n’ont vraiment pas envie d’être là, créer des photographies qui seront publiées, vivre avec un délai serré, oui ça peut provoquer une bonne dose de stress. Je dirais que comme j’ai un travail qui est différent de contrat en contrat, certains me font faire plus de papillons que d’autres. Je compare une séance à une entrée sur scène pour un musicien ou un comédien. D’ailleurs, en ce moment même, j’écoute un reportage sur Coeur de pirate. Je dois avouer avoir eut un petit sourire lorsque je l’ai entendu dire «Avant d’entrer sur scène, je me dis que ce sera la dernière fois tellement le stress est intense. Que je ne serai pas capable. Que c’est trop.». J’aimerais tant dire que je ne la comprend pas.
Voici donc quelques éléments qui auront une influence sur mon niveau de stress avant une séance:
1- L’importance du contrat et sa visibilité
Tout d’abord, le premier élément à prendre en considération est l’importance du contrat. Bien que tous les contrats sont importants à mes yeux de photographe, il y a tout de même des contrats qui peuvent me faire perdre plus de crédibilité que d’autres. Un faux pas avec une séance enfant, ça se pardonne plus facilement et ça se reprend plus facilement aussi. Un faux pas avec une entreprise connue, ça pardonne moins et ça peut nous faire une mauvaise réputation. De plus, fournir un rendu de moins bonne qualité ou qui ne nous satisfait pas pour une campagne publicitaire par exemple, nous déplaira beaucoup plus qu’une photo qu’on aime moins dans votre salon. Il est donc normal de ressentir un peu plus de nervosité avant un contrat avec une plus grande visibilité. Un peu comme un grand chef qui doit servir Paul McCartney ou encore un designer qui doit habillé une vedette pour les Oscars. Ce sera plus énervant que de faire un repas pour une clientèle régulière ou d’habiller quelqu’un pour un mariage.
2- L’expérience
Chaque photographe a des spécialités et des expériences rattachées à celles-ci. Pour ma part, je considère être particulièrement à l’aise avec les femmes enceintes et les enfants. Je serai donc, par expérience et par intérêt, déjà plus à l’aise de faire une séance maternité qu’une séance de groupe ou un mariage. Pas que je ne sois pas capable de réaliser une séance de groupe ou un mariage, mais c’est simplement qu’un contrat que je réalise 3 à 4 fois par semaine me rend plus à l’aise de le réaliser qu’un contrat que je ferai 1 fois au 2-3 mois ou même par année. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai décidé de ne plus faire de mariage, mon niveau de stress pré-mariage n’équivalait pas le plaisir de j’avais à réaliser un mariage. J’adorais arriver chez moi et regarder le résultat, car oui je crois que je faisais de belles photographies de mariage. Toutefois, lorsque je repensais à mon stress la veille, au matin même, à toute la préparation, la pression, que je visualisais ma journée de 10-12 heures où je n’avais rien avaler à cause de la nervosité, à passer ma journée à courir après tante Rita et le beau-père, à perdre la voix tellement j’avais essayé d’attirer l’attention lors des photos de familles… Ça ce n’était pas ce que je souhaitais de mon travail et surtout ce n’était pas un travail qui était fait pour moi. Et ça, il faut aussi savoir se l’avouer. Je préfère donc me diriger vers de contrats avec lesquels mon niveau de plaisir équivaudra ou surpassera mon niveau de stress. C’est ce que j’éprouve lorsque je réalise des contrats qui me plaisent. L’expérience aussi permet de se sentir de plus en plus à l’aise avec les facteurs incontrôlables. Pourquoi? Parce que l’expérience et la connaissance de son métier me permet de développer une foule de solutions lorsque je me colle le nez à une problématique. Par exemple, la première fois que ta carte mémoire décide qu’elle est corrompue, ça énerve. La fois d’après tu sais que tu auras 5 cartes mémoires et ton portable pour les vider en cas de problèmes. C’est à force d’expérimenter des situations stressantes qu’on en tire du bon et des solutions.
3- Le temps accordé à la séance
Des clients en retard, une autre séance par la suite, des clients qui prennent leur temps pour se changer, erreur de booking qui fait que j’aurai 2 séances très (trop) rapprochées. Plus le temps devient serré, plus la nervosité augmente. Il arrive parfois que des clients nous imposent un temps, que ce soit en se dépêchant de faire les photos avec papa, car il doit repartir au travail ou encore parce qu’ils ont réservés, mais que finalement ce n’était pas une bonne journée pour réaliser les photos. Ce sont des éléments qui influenceront l’attitude du photographe, car c’est souvent lui qui devra gérer la pression imposée par la limite de temps avec ses clients. C’est la même chose si je sais que j’ai un contrat à l’extérieur et que je serai serrée dans mon temps pour revenir pour une autre séance.
4- Le client, la chimie
Ça peut avoir l’air étrange de mettre le stress sur le dos de quelque chose d’incalculable, d’aussi abstrait, mais la chimie qu’un client peut avoir avec moi influencera mon niveau de stress. Il y a des clients qui à peine entrés en studio auront une attitude qui me fera sentir plus froide, moins à l’aise, qui m’imposeront des limites ou des idées avec lesquelles je ne suis pas à l’aise. D’autres, à l’inverse, me parleront comme si ils me connaissaient depuis toujours, me feront confiance et seront ouverts à l’idée d’essayer des nouveautés ou de nouvelles propositions. Donc, avant l’arrivée d’un client, il est certain que j’essaie toujours inconsciemment de me demander «ils seront comment ceux-là?». De se demander si ils seront amicaux ou plutôt distants, originaux ou plutôt classique, extravertis ou plutôt timides. Chaque client est unique, chaque chimie l’est aussi. Evidemment, un client régulier que je vois souvent me stressera beaucoup moins qu’un nouveau client que je n’ai jamais vu.
5- Facteurs incontrôlables
Être photographe, c’est vivre l’incontrôlable en permanence. Si vous n’aimez pas l’incontrôlable, ne devenez pas photographe. D’ailleurs, c’est probablement l’élément sur lequel j’ai du apprendre à travailler le plus. De se dire que oui, tout peut arriver, mais que non on ne peut pas tout contrôler. Lâcher prise sur le contrôle de son métier, c’est parfois assez déroutant. J’apprend donc, jour après jour, à ne pas me créer un idéal de séance avant l’arrivée des clients. Ne pas penser que les enfants seront tous joyeux et patients, ne pas penser que mes clients seront des mannequins professionnels, ne pas penser que mes clients seront vendus à mes services. De cette façon, je peux mieux réagir lorsque la séance se déroule moins bien. Si on ne prend pas pour acquis qu’un enfant sera souriant, ce sera beaucoup moins facile de réagir lorsqu’il pleura. Même chose si l’on fait un mariage et qu’on se dit qu’il fera beau et que tout le monde sera détendus et heureux. Parce que la possibilité qu’il y ait de la pluie et que la mariée soit stressée est probablement aussi importante. Que ce soit l’humeur des clients, la lumière, la température, les contraintes techniques d’une entreprise, le temps accordé à une séance, un client difficile ou même des lunettes qui font beaucoup de reflets, un client qui est blessé et qui veut cacher son plâtre, un bébé qui ne veut pas se décoller de sa mère, un enfant qui a perdu une dent, mais surtout une maman qui ne veut pas voir le tout… C’est ça vivre l’incontrôlable. Et ça, c’est ce qui fait qu’une mini dose de stress est toujours présente avant un contrat. Aussi minime soit-il.
À votre arrivée à une séance, pensez donc que vous n’êtes probablement pas le seul à être un peu nerveux. Ça vous aidera peut-être à vous sentir plus zen. Votre plus jeune est énervé et ça vous stress un peu, dites-vous que moi aussi, et alors? On apprendra à se connaître, à s’apprivoiser et ensemble nous vaincrons toujours cette petite timidité du départ. En même temps, je crois que la nervosité (lorsque dosée) est saine, un peu comme un comédien qui a toujours le tract après 30 ans de carrière. C’est ce petit tract qui me permet, jour après jour, d’avancer et de me renouveler. Lorsqu’on devient confortable, on ne créé plus.
Horaire: Nager dans l’incertitude
Je suis le genre de personne à savoir son horaire un an d’avance. Si vous me demandez ce que je ferai et où je serai