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Limoilou: L’invisible petite fille de la ruelle

Perchée au troisième étage d’un triplex de la 10e rue, j’ai le monde à ma portée. De cette tour de Limoilou, je peux scruter le paysage. Parfois, je m’assois sur une vieille table en bois, simplement pour regarder les oiseaux, les briques et les cordes à linge. Les vêtements multicolores et les sous-vêtements variés animent mon imagination. Qui peut bien porter des bobettes aussi grandes? Et un soutien-gorge aussi brisé? Au loin, je vois le clocher de l’église dépasser. J’aime bien l’entendre sonner. À l’époque, le cirque n’existe pas encore, ses couleurs ne sont que dans mon coeur. Je suis bien dans ma tour. À 5 dans un appartement 3 chambres, les balcons sont définitivement des pièces supplémentaires l’été venu.

Mon juillet à Limoilou

Le soleil se lève dans la ruelle. Tous les matins d’été, elle fourmille. Monsieur Bikini s’installe pour laver sa voiture… Pour la 12e fois cette semaine. Un surnom provenant de son speedo si minuscule sous son ventre arrondi. Le soleil plombe sur sa calvitie et il salut sa voisine du 2e, tenant son arrosoir de l’autre main. C’est le roi de la ruelle. Une cigarette au bec, la voisine (et sa permanente) marmonne, on entend mal à travers le couinement de sa corde mal huilée. Elle fait signe au ciel, il faut étendre avant qu’il mouille! Il va pleuvoir pour 2 jours!? À Limoilou, la météo influence la vie de la ruelle. Heureusement, mon balcon est couvert. Je ne manquerai pas une seconde de ces journées sombres et m’y assiérai aussi pour regarder les orages.

Trop jeune pour être si vieille

Voilà que 3 enfants passent en vélo. Je les connais tous. Je rentre quelques secondes à l’intérieur, honte d’être seule dans mon monde imaginaire ou d’être encore en pyjama à 11h00. Je n’ai pas envie d’aller jouer. Déjà si vieille dans un si jeune corps. Mon âme est autosuffisante depuis longtemps. J’aime mieux admirer la ruelle avec créativité que de me restreindre à la vue rapide d’un tour de vélo et aux cris insignifiants des enfants. Monsieur et Madame Archibald quittent faire leurs commissions d’un pas lent. Bernard est dans la cours pour faire quelques bricoles. Un voisin peint son balcon, ce sera beau pour mettre le bloc en vente. Un chat marche non loin, je le supplie de marcher sur la peinture fraîche. Question de mettre un peu d’action à cette journée de juillet. Le son des bouteilles vides qu’on sort dans les bacs de récupération, me confirme que quelques voisins semblent bien profiter de leurs soirées chaudes.

Invisible

Je suis complètement invisible. Du troisième étage, j’ai le privilège de la vue, de l’intimité et des secrets. La voisine se fait bronzer les seins nus, entourée de sa clôture elle n’a pas pensé aux vautours dans le ciel. Je n’ai pas d’appareil, je ne suis pas encore photographe, mais j’ai déjà immortalisé bien du vécu. Il y a tellement de choses à observer et à comprendre. Mes parents sont au travail, un de mes frères dort encore. Je ne suis pas au camp de vacances, je déteste ces groupes futiles. L’anxiété faisant ses premiers pas dans mon esprit. Je préfère la solitude du balcon, même si à chaque son de gravier, j’étirerai le cou pour voir si l’econoline rouge de mon papa fera son entrée. Il vient juste de partir, peut-être aurait-il oublié quelque chose?

Au bout de la galerie, il y a une armoire en bois. À l’intérieur, mon paradis. Une boîte à outils de mon grand-père maternel que mon père n’a probablement jamais ouverte. Je cloue, je scie, je dessine… J’utilise des outils qu’aucun enfant en 2022 aurait le droit de toucher. J’aime me faire croire que je sais faire des rénos. La petite que j’étais me trouverait plutôt badass aujourd’hui en me voyant tirer les joints de ma propre maison. Juste à côté, ma bouteille de bulles. Je peux passer des heures à regarder ces sphères voler et briller au soleil. Je les regarde atterrir dans les cours avoisinantes. L’impression d’envoyer des bouteilles à la mer. Je me cache si elles tombent près de quelqu’un. Il ne faut pas être repérée.

Chaque bulle est pleine d’espoir et de chaleur. Des signaux de fumée montrant qu’une petite fille est perchée là-haut et qu’elle a la tête dans les nuages. Cette petite fille invisible ignore tout de sa force, sa créativité et surtout, sa facilité à comprendre sans filtre le monde qui l’entoure.

Encore aujourd’hui, ne la cherchez pas en juillet, elle sera sur son balcon avec ses trois enfants à leur inventer une foule de contes imaginaires… En regardant les bulles voler dans le ciel!

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