Cet article, je l’ai écrit. Sans le publier. Je l’ai corrigé. Sans le publier. Je l’ai relu. Sans le publier. Encore et encore, pendant plusieurs mois. J’espère ne pas le regretter, mais il me trotte tellement en tête que je ressens le besoin d’en parler. J’ai la boule dans l’estomac, mais je veux en même temps le crier.
J’ai vu circuler sur les médias sociaux le visage d’une femme. Cette femme, elle se disait « le visage de la dépression ». Elle décrivait son histoire, son vécu et son mal. J’ai trouvé ça beau. Pas parce que c’est plaisant que ça lui arrive. Mais plutôt parce que le vrai, c’est beau. Et j’aime que les gens soient vrais. Sans partager ou sans « liker », je suis passée à côté de l’article sans faire de vagues. Puis, lors d’une conférence que je donnais avec 11 autres photographes, il fut le moment de jaser de stress, d’angoisse et de tout ce qui vient avec notre boulot. J’y ai vu des personnes soulagées d’être enfin comprises. Soulagées de savoir qu’elles ne sont pas seules. Des personnes qui ne parlaient pas de ce genre d’émotions, peut-être par honte ou par souci de ce qu’on pourrait bien penser de ce qu’elles vivaient. Je voyais que mon « mal » pouvait devenir leur bouée, leur soulagement. Alors, pourquoi en avoir honte?
Je souffre de troubles anxieux. Oui, moi qui a un chum depuis bientôt 9 ans, une petite fille coquine et belle comme un coeur, une maison, un job que j’adore, un bon salaire, une voiture, une bonne scolarité et tellement de choses à « envier » selon plusieurs. Enfant, adolescente et adulte, je l’ai toujours été. À vrai dire, j’ai passé la majorité de mon existence à être anxieuse dans mes souvenirs. Ça a débuté vers 9-10 ans avec le décès de ma grand-maman. Je m’en souviens comme si c’était hier, je ne voulais pas mourir pendant mon sommeil comme elle… Alors, j’avais pris la décision (bien peu réfléchie et dans ma petite tête d’enfant) que je ne dormirais plus. L’anxiété a débuté pile-poil à ce moment et a perduré jusqu’à ce jour. Ce n’est pas une nouveauté et, avec le temps, j’ai peu espoir de réellement m’en sortir. Je me suis habituée à vivre avec. Je suis une artiste, c’est normal qu’ils disaient. Je vis tout à 100 miles à l’heure et impulsivement. Et c’est vrai. On s’entend, vivre n’est peut-être pas le verbe idéal, c’est un peu comme apprendre à marcher avec une roche dans un soulier pour le reste de sa vie. Parfois, la roche se place à un endroit où on ne la sent pas. Je peux courir, marcher et jouer. Puis, si je saute trop haut, elle revient finalement me piquer directement dans la paume du pied. Ce jour-là, tu te demandes pourquoi ça t’arrive à toi et ce que tu as bien fait pour mériter ça. Puis tu sens la blessure pour plusieurs semaines. J’apprends donc petit à petit à ne plus sauter trop haut comme je sais si bien le faire avec mon enthousiasme débordant. Ces temps-ci, j’en vois dire que c’est à la mode… Le TDAH, l’anxiété, la dépression… Toutes des inventions pour justifier les faibles. Que les gens anxieux sont des gens qui ne travaillent pas, qui ne font pas d’efforts. Moi, ce que je vois, c’est surtout un rythme de vie effréné, des personnes accrochées à leur téléphone pour ne rien manquer, des gens qui n’arrivent plus à suivre… À vivre. Surtout des personnes qui ont enfin des termes médicaux pour expliquer ce qu’elles vivent.
L’anxiété fait partie de ma vie depuis plus de 15 ans, facilement. J’en ai 26. Enfant, je faisais de l’insomnie, des maux de ventre imaginaires, mais tellement réels pour moi. Les « je ne veux pas aller à l’école » et les appels tardifs de « maman, viens me chercher, je ne veux plus dormir chez mon amie. ». J’étais déjà une bien petite angoissée. À l’adolescence, c’était plutôt les réveils difficiles. Des nausées, des vomissements, des tremblements, une boule dans la gorge et tout le tralala. L’école, les garçons, ce que les gens pensaient de moi, si j’étais assez ou pas assez bonne. Bonne dans quoi au fond? Je n’en ai aucune idée. Je voulais juste être bonne. Un rien déclenchait ce sentiment de panique dans tout mon être. Adulte et maman, ça va par période. Actuellement, je suis dans une magnifique période. Pas de crises d’angoisse depuis plusieurs mois, je touche du bois. C’est probablement la raison pour laquelle je suis capable d’en jaser, être dans une bonne période. J’ai mes bonnes et mes mauvaises périodes. Mon corps est littéralement programmé pour paniquer à l’habitude. Il ne sait pas faire autre chose. J’ai de la chance d’avoir un conjoint hyper compréhensif, qui me connaît mieux que personne. Il sait comment me ramener sur terre, comment me faire sentir mieux quand je ne vois que du noir. Les tremblements, les réveils nocturnes, les nausées, les troubles de digestion, la tristesse dans mon regard… Tout y est dans une mauvaise « passe ». C’est signe que j’en prends trop, que je dois me calmer et prendre du temps pour moi. Les mauvaises « passes » sont devenues ma hantise. Je goûte au bonheur mieux que personne. Quand ça va bien, le monde m’appartient, je pourrais franchir des portes que je n’ai jamais franchies. En bonne période, je goûte enfin à la vie et j’ai tellement envie de la vivre. Un peu comme si vous permettiez à un aveugle de voir quelques mois. Il y prendrait goût et lorsqu’il retomberait aveugle, il détesterait encore plus son état. Quand ça ne va pas, je n’ai pas envie de sortir, je suis un fardeau, je ne vaux pas grand-chose. Mais le bonheur et le bien-être, ça rend accro. La vie, ça goûte tellement bon sans anxiété. D’ailleurs, il m’arrive de philosopher à ce sujet et à me dire que les gens qui n’ont pas de troubles anxieux devraient savoir à quel point ils sont chanceux de vivre comme bon leur semble. Quand ton cerveau n’est pas une barrière à ta vie. Ils n’ont pas idée du bonheur qu’ils peuvent vivre. De ne pas avoir peur avant une sortie, de ne pas vomir sur demande quand ils deviennent juste trop émotifs.
Je souffre de troubles anxieux et je ne suis pas seule. Nous sommes probablement des milliers. Des milliers silencieux et honteux. Des milliers qui se font dire « Voyons, c’est ridicule ton affaire. T’as juste à arrêter d’être stressée! » Des milliers qui ont l’impression de mourir par en dedans lors d’une mauvaise période. Pour ces milliers, je leur dis de se battre et d’apprendre à apprécier les bons moments. Notre malchance c’est de vivre de l’anxiété, mais notre chance c’est de ressentir les émotions au maximum. On est capable d’être plus heureux et de vivre les émotions positives encore mieux que les autres. Tirons-en avantage plutôt que de ne penser qu’au côté sombre de notre état!