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Travailleuse autonome: Ce que j’apprend de la grossesse

Sarah Tailleur, photographe, maternité, travailleuse autonome, entreprise, congé de maternité

Déjà 24 semaines de grossesse et je m’aperçois qu’être enceinte pour la première fois est un monde de découvertes. Je réalise qu’avant même la venue de bébé, un lot de changements sont déjà présents au sein de ma vie personnelle et professionnelle. Je vois des tonnes de forums et d’articles qui parlent des congés de maternité, de la maternité en général, mais malheureusement très peu d’informations qui proviennent de futures mamans ou de mamans travailleuses autonomes comme moi. On doit gratter et chercher l’information au compte-goûte et se faire confiance avant tout. Je n’ai donc pas beaucoup de repères dans cette grande aventure et si je peux en donner quelques un à d’autres travailleuses autonomes qui vivent ou prévoient une grossesse, tant mieux! Voici donc mes apprentissages de la gestion de ma grossesse et ma carrière.
De nouvelles limites et peu de contrôle
On l’apprend assez tôt dans la grossesse, surtout pour celles qui souffrent de nausées/vomissements/maux divers, nos limites qu’on croyait parfois illimitées, sont maintenant qu’un peu plus limitées. Et c’est parfois avec un peu d’inconfort qu’on apprend que tous ce qu’on croyait contrôler ne se contrôle plus. Ce qui en soit est parfois difficile à accepter, mais un laisser-aller qui permet à la longue de remettre en questions notre façon habituelle de «contrôler» notre vie. À la base, je suis très travaillante et j’ai de l’énergie pour dix. J’aime mon travail et j’y consacre énormément de temps par passion. Je pouvais parfois réaliser une journée de 12 heures sans problème et avoir tout autant de jus le lendemain. Régler 14 dossiers, terminer la retouche de 10 contrats, appeler des clients, faire des séances, manger rapidement sur le coin du bureau… Par contre, depuis que je suis enceinte, je dois m’imposer de nouvelles limites, car ce mode de vie deviendrait corvée. Pas que mon travail soit moins bien réalisé qu’avant, mais il doit être structuré différemment. Tout d’abord, mon énergie n’est plus la même. Je m’essouffle et me fatigue beaucoup plus rapidement. À la fin de ma journée de séances, après avoir couru, joué, sauté sur place, chanté et parfois même dansé (qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour faire rire un enfant) je dois régulièrement faire une petite sieste plutôt que de retoucher des photographies comme je le faisais avant. Je me retrouve donc à faire ma retouche de soir, une fois la sieste effectuée. Les journées de 3 séances sont devenues difficiles voire impossibles à réaliser, j’ai donc du modifier mon horaire pour en faire un maximum de 2. Sinon, à la troisième j’étais simplement beaucoup moins efficace et mon corps me le faisait sentir. Je dois aussi «m’énerver» un peu moins en séance, car je m’aperçois (surtout pour les séances extérieures) que je n’adopte pas toujours des positions sécuritaires. Que ce soit en grimpant dans des endroits peu stables ou en prenant des positions qui ne sont pas bonnes pour mon dos. Je dois faire un peu plus attention, car une chute deviendrait potentiellement dangereuse et la CSST n’existe malheureusement pas pour une travailleuse autonome. Si j’arrête, c’est à mes frais. D’ailleurs, à ce sujet, prenez des assurances invalidité au cas où vous seriez forcée d’arrêter! Je ne pensais pas que c’était utile à 24 ans, jusqu’à ce que je tombe enceinte. Au début de ma grossesse, mes nouvelles limites étaient surtout structurées de par les nausées et les vomissements que je devais endurer plusieurs fois par jour. Pour vous donner une idée de structure, j’ai appris que je devais me lever plus tôt avant une journée de travail pour être certaine de terminer de vomir avant l’arrivée de mes clients. Peu glamour comme truc, mais les symptômes (pour celles qui en vivent) sont souvent ce qui modifient le plus l’horaire établie. Il arrivait donc que 10 minutes avant que mes clients arrivent, je sois entrain de vomir, disons que ça change un peu la routine. Une chance, à 24 semaines, ça m’arrive moins d’une fois par semaine plutôt que 5 fois par jour.
Les bons et les moins bons clients
Des «félicitations» j’en ai reçus à la tonne, mais j’ai aussi malheureusement reçus des «c’est décevant» ou encore des «Tant pis pour toi, j’irai ailleurs». Je dois avouer qu’au tout début de ma grossesse, entre 2 vomis, la fatigue et les hormones chamboulées, ce fut particulièrement difficile. De mettre mon «bébé d’entreprise» de côté, c’était déjà pas évident en soit pour moi. J’y ai consacré tellement de temps, d’énergie et d’efforts que je ne veux pas qu’une grossesse lui nuise. Par contre, je ne veux pas non plus que mon entreprise m’empêche de vivre une vie personnelle tout aussi enrichissante que ma vie professionnelle. Mais de me faire dire que ma grossesse décevait parfois même par des clients qui m’avaient rencontré plus d’une fois, c’est certain que c’était dérangeant. Je me suis questionnée beaucoup à savoir si c’était le bon moment pour avoir un enfant dans ma vie et si je ne faisais pas une erreur à cause de ce genre de commentaires. À force de me questionner, j’en suis venue aussi à me demander «mais des clients comme ça, est-ce que j’en veux réellement dans ma vie?» et la réponse fut simplement «non». Je me disais aussi que si je n’avais pas pris le temps d’avoir un enfant, personne ne m’aurait accordé le temps  non plus. Et, loin de mon idée de départ que d’avoir un enfant à 40 ans. Je me disais que si quelqu’un n’était pas assez respectueux pour comprendre que la maternité et les bébés ça se vivaient aussi pour les autres, alors non merci. D’autres, qui ne se veulent souvent pas bien méchants, n’ont simplement pas la notion du temps. On me demande quand j’accoucherai et lorsque je dis début novembre, certains me demandent ensuite si ils pourront prendre rendez-vous pour décembre et leurs photos de Noël. Malheureusement non, comme vous j’ai droit à un congé, alors je serai en congé. Je suis contente que les gens aient du mal à se passer de mes services 4 mois, mais en même temps je me suis dis que je reste une photographe. Pas une chirurgienne, ni un premier répondant. Toutefois, je n’ai pas découvert que des mauvais clients. J’ai aussi découvert des entreprises avec lesquelles je collabore qui sont très diplomates et humaines. Les entreprises étaient probablement celles qui me stressait le plus, peur de perdre des contrats que je réalise plusieurs fois par année. Celles-ci ont plutôt été très diplomates et humaines, me félicitant et prenant soin de me poser des questions sur mon congé afin de structurer leur prise de photo en fonction de mon congé. Les bons clients ont donc réservés leur séance pour mon retour, me félicitant, me conseillant et parfois même me donnant des articles de bébés. Et à mon retour au boulot, c’est avec ces clients que je veux continuer d’évoluer. Des personnes qui me font appréciées mon travail et qui méritent que je me surpasse pour elles.
Un homme en or
On en parle peu pendant une grossesse, mais un futur papa présent c’est très important! Bien que je le savais déjà présent pour moi, mon conjoint est devenu une partie intégrante de ma vie professionnelle. Certains d’entre vous l’avez rencontré lors de séances à l’extérieur où il me sert d’assistant, que ce soit pour traîner mon matériel, tenir mes flashs ou me rappeler que je dois boire une fois de temps en temps. Sachant que je me fatigue plus rapidement, que je m’essouffle à traîner du matériel lourd, que j’ai parfois de petites contractions quand je fais trop de choses, mais aussi que je ne peux le laisser sentir aux clients. Comme il connaît bien mes nouvelles limites et comment il peut m’aider, il est parfait pour le rôle d’assistant. Je sais que je peux compter sur sa présence et qu’il me comprend d’un simple coup d’oeil de «J’ai vraiment besoin que tu tiennes mon sac» à «Je suis étourdie, j’ai chaud, ça me prend de l’eau rapidement». Je ne compte plus le nombre de fois où il m’a aidé dans mon nettoyage du studio la fin d’une semaine, sortir les poubelles de couches alors que l’odeur de celles-ci me levaient le coeur, aller poster des commandes avant de partir travailler, installer des fonds avant mes séances, m’aidant à faire ma comptabilité ou simplement en me massant à la fin d’une grosse journée. Le tout, en étant d’une écoute incomparable pour me conseiller du mieux qu’il peut. Il est compréhensif quand il arrive du boulot et que je me suis endormie plutôt que d’être entrain de préparer le repas, de faire plus de tâches ménagères pour compenser pour le travail que je dois maintenant terminer de soir. Sans mon homme, je n’aurais jamais assez d’énergie pour tout réaliser! Sans mon homme, vous n’auriez clairement pas une photographe aussi en forme.
Un horaire stable
C’est avec chance que depuis environ 1 an et demi, j’ai instauré un horaire de travail plus stable qu’avant. Des journées de congé peu modifiables et des rendez-vous à heures fixes. Ce qui fait que je sais quand je travaille et quand je suis en congé. Je peux gérer un peu mieux ma vie personnelle en prévoyant des activités ou des sorties dans mes journées de congé plutôt que de toujours dire «attends je regarde mon horaire sur mon iPhone». Ça me permet mieux de gérer mon horaire et ça m’assure d’avoir des congés, car avant sans horaire fixe, j’oubliais d’ajouter des congés à l’horaire. Résultat, je pouvais travailler 5 soirs en ligne, 8 journées à 3 rendez-vous sans congé, fin de semaine sans voir mon conjoint. C’était le coup à donner pour lancer mon entreprise, mais je ne veux pas revenir en arrière. Ça m’apporte une meilleure qualité de vie et je peux aussi structuré mieux mon entreprise. C’est donc très important d’établir une routine avec la grossesse pour se garder du temps pour soi. Depuis que je sais que j’aurai un enfant, j’ai pris le temps d’encore remodeler mon horaire pour mon retour au travail. Je sais que je devrai travailler dans les heures de garderie, que je ne veux pas travailler 12 heures et ne pas voir mon bébé de la journée, que j’aimerais être auprès d’elle et son papa plus souvent la fin de semaine, que je ne veux pas retoucher le soir et le week-end, mais bien de jour quand elle siestera. J’ai donc choisi de faire qu’un samedi sur deux à mon retour et de ne plus faire de séance de soir. Je sais que ça n’arrangera pas certains clients, mais comme la majorité sont en congé de maternité et viennent sur semaine sans problème, je continuerai comme ça. Ça n’enlève pas de rendez-vous comme j’en ai ajouté sur semaine. Recommençant lorsque ma fille aura 3 mois, alors que plusieurs mamans sont encore en congé avec leur enfant, j’aime mieux recommencer progressivement. Je veux tout de même être présente dans sa vie et prendre le temps de m’adapter à ma vie de maman surtout dans les premiers mois. Plusieurs mamans qui sont passées en studio me l’ont dit et me l’ont conseillé «4 mois c’est court! Ces moments ne repassent pas, profites-en au maximum. Ce n’est pas les journées de travail qui feront les souvenirs que tu te remémoras, mais bien le temps passé avec ton bébé dans une période où il découvre la vie». Et c’est vrai, je partage votre vie depuis 3 ans, j’ai découvert des personnes extraordinaires. Des personnes qui m’ont souvent dit vivre le moment le plus fort de leur vie.
J’arrêterai le travail à 37 semaines de grossesse. Jusqu’à maintenant, je n’ai annulé aucune séance. Parfois, j’en ai reporté de 1 jour ou 2, pour un rendez-vous chez le doc ou une écho, mais jamais annulé. Je veux que vous continuiez d’avoir une opinion positive de mon entreprise et sachez que Valérie et moi s’efforçons de conserver un bon service à la clientèle malgré les changements auxquels nous devons nous adapter. D’ici la fin de ma grossesse et je veux que vous sachiez que j’apprécie votre soutien dans cette période disons «nouvelle» de ma vie. Je veux aussi que vous sachiez que ma vie change, mais ne change rien au fait que la photographie est ma passion et que je remercie la vie de me permettre d’avoir un travail si humain, si plaisant. Ne vous sentez jamais coupables de porter la vie, le reste devient tellement secondaire. Alors, futures mamans travailleuses autonomes, j’espère vous avoir aidé!
Sarah Tailleur, photographe, maternité, travailleuse autonome, entreprise, congé de maternité

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