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Des nouvelles d’Élizabeth… La vie après le cancer!

La photographie m’a amenée à une foule d’endroits. Des endroits inaccessibles, autant physiquement qu’émotivement. Des bébés qui n’y sont plus, des adultes qui n’y seront plus sous peu ou des familles déchirées après un drame. J’ai immortalisé des retrouvailles, mais presqu’aussi souvent des adieux. Dans la panoplie d’expériences de vie que la photographie m’a fait vivre, j’ai fait la rencontre d’Élizabeth et de ses parents. Une petite fille qui a tellement déstabilisé ma pratique, mais aussi ma vie de maman. Une battante comme j’en ai rencontrée peu.

Réaliser une séance photo de maternité au CHUL dans l’unité de cancérologie pédiatrique

Notre histoire débute en avril 2019. Leur histoire à eux, elle, elle était déjà bien entamée. Celle d’une Leucémie Myéloïde Aiguë dans le corps d’une trop petite fille de même pas 2 ans, d’une maman enceinte de jumeaux et d’un papa devenant le port d’attache pour tenir la famille. Un rôle important pour réconforter, assurer le ravitaillement entre la maison et l’hôpital, aimer et assurer un revenu familial. J’étais alors maman de deux enfants, la pandémie n’existait pas et mon plus jeune avait l’âge d’être l’ami d’Élizabeth. Geneviève, la maman d’Élizabeth m’a initialement contactée pour immortaliser sa grossesse. Seul bémol, sa fille est gravement malade, en chimiothérapie et est hospitalisée au CHUL. Elle a un cancer et on ne sait pas si elle survivra. La séance photo est donc d’autant plus importante à ses yeux, ce sera peut-être celle qui marquera les derniers moments d’Élizabeth avant l’arrivée de petits frères qu’elle ne rencontrera peut-être pas. En tant que photographe, j’avais déjà réalisé des séances photos dans les hôpitaux. Que ce soit pour la Fondation Portraits d’étincelle ou encore pour créer des souvenirs à des femmes enceintes hospitalisés en fin de grossesse. Par contre, c’était la première fois que j’allais rencontrer une enfant aussi malade et dont le pronostic était si incertain. J’étais nerveuse à l’idée de ne pas dire ou faire la bonne chose. De me mettre les pieds dans les plats devant un enfant dont l’avenir n’était peut-être que dans nos souvenirs. J’y suis allée en me disant que mon rôle était simplement que d’être là pour eux, peu importe les circonstances. Ils avaient besoin d’humains bienveillants pour rendre leur épreuve moins lourde. Même si j’enlevais que le poids d’une plume, ce serait ça!

Confirmer la séance photo à la dernière minute… Si le cancer le veut bien!

Jusqu’à la dernière minute, nous ne savions pas si la séance photo se tiendrait. Élizabeth faisait de la fièvre et était moche la veille de la séance. Tout devait bien aller pour qu’une photographe puisse entrer au CHUL en cancérologie pédiatrique. On devait aussi pouvoir enlever le soluté le temps d’une séance photo et absolument être entre deux traitements de chimiothérapie. Les fenêtres étaient donc rarement ouvertes en terme de timing. C’est sa maman Geneviève qui me tenait au courant, elle qui dormait directement au CHUL, en cuillère avec son ventre contenant des jumeaux. Faisant du camping en alternance avec son conjoint pour qu’Élizabeth ne soit jamais seule. Je me souviens l’avoir tellement trouvé brave sur le coup. Sa force m’ébranlait tellement elle devait vivre des émotions fortes et rester solide. Pour réaliser ensuite qu’elle n’était pas brave, qu’aucune maman sensée ne laisserait son enfant malade seul. Geneviève, à qui je lève encore mon chapeau, ne faisait pas preuve de bravoure, mais de bien plus. C’était un mélange d’amour immense, de résilience hors norme, de bienveillance, de force et d’espoir… Le tout, dans un contexte de survie. Le courage, selon moi, c’est quand on affronte quelque chose que l’on choisit. La vie a mis ces parents devant le fait accompli et une situation extrême. Ils n’avaient pas le bénéfice de choisir. Le couple tentait seulement de garder le cap comme il le pouvait à travers les obligations de la vie et les incertitudes multiples reliées à la maladie et la grossesse. À mes yeux, c’était tellement d’évènements stressants et difficiles en même temps. On s’entend, tous ces évènements, même séparément sont intenses à vivre! Eux, les affrontaient tous en même temps ou en moins de quelques mois. Des grands bonheurs comme des grands désespoirs. C’était déstabilisant de les voir debout devant le nombre de vagues qui tentaient de les engloutir.

Une séance photo maternité dans les couloirs du Centre Charles-Bruneau

La séance photo s’est déroulée dans le calme et l’amour dans sa chambre d’hôpital du CHUL dans le pavillon du Centre Charles-Bruneau. J’ai rapidement tissé des liens avec la petite Élizabeth qui reste, malgré tout, une enfant. Nous avons marché ensemble dans les couloirs de l’hôpital, je l’ai même fait rire. Totalement égoïstement, ça me rassurait de voir qu’elle était comme les autres enfants et pouvait encore rire. La peur de ne pas avoir le tour avec le cancer pédiatrique. D’être la photographe qui marquerait sa présence sur terre et qui voulait bien le faire venait avec des attentes élevées envers moi-même. Haute comme trois pommes et totalement déstabilisante. Ce n’est pas commun de voir une peau transparente et bleutée sur un si jeune enfant. Encore moins un crâne dégarnit. Même si c’était initialement une séance photo de maternité, la vérité était que la naissance des jumeaux étaient en second plan. Je discutais avec ses parents et l’idée d’accueillir des jumeaux semblaient si loin dans leur tête. Comme si la grossesse avait été arrêtée le temps des traitements. Pourtant, le ventre de Geneviève laissait bien voir que le duo était pour bientôt. Que la vie continuait et que la leur, déjà un casse-tête, se transformerait en tsunami à l’arrivée de deux bébés supplémentaires.

Un don de sang de cordon de la part d’un jumeau pour aider sa grande soeur

Les jumeaux sont nés en juin 2019. Environ 2 mois après mon passage. Cette naissance est aussi venue avec une bonne nouvelle: La compatibilité du sang de cordon de ses petits frères en vue d’une greffe. Faisant d’eux des donneurs potentiels afin d’aider au traitement d’Élizabeth, uniquement en faisant ce don à la naissance puisque la chimiothérapie ne donnait pas les résultats escomptés. Initialement, les chances qu’un jumeau soit compatible était de 1/4. La chance semblait enfin tourner puisque c’est finalement tous les deux qui l’étaient! J’ai trouvé la situation tellement unique, douce et amère, mais aussi belle à la fois. L’arrivée des jumeaux pouvaient sauver la vie de leur grande soeur née 2 ans auparavant. En juillet 2019, Élizabeth avait sa greffe. Les mois qui ont suivi n’étaient pas simples.

J’ai continué de prendre des nouvelles de la famille. Ayant l’impression d’avoir construit quelque chose d’unique avec elle. À un moment, les nouvelles ne venaient plus. La peur qu’Élizabeth soit décédée m’envahissait. Je me suis surprise à Googler son nom pour voir si un avis de décès ferait son apparition. Soulagée, à toutes les fois, de ne pas la trouver. L’état d’Élizabeth laissait craindre le pire puisque des cellules cancéreuses étaient présentes même après la greffe. En la revoyant dans les mois qui suivaient sa greffe, je ne savais donc pas si c’était, encore une fois, la dernière fois. Les parents se rattachaient à l’espoir d’un traitement d’immunothérapie qui fonctionnerait et envoyait leurs souhaits à l’univers en espérant avoir un retour.

Les années ont passées et les jumeaux sont maintenant plus grands. Élizabeth est si forte. Ses cheveux blonds et désormais frisés sont de retour. Son teint n’est plus bleuté, elle est rose et son rire résonne si fort. Cette petite à l’enfance tellement différente va désormais à l’école comme tous les autres enfants de 5 ans. Elle est miraculeusement en rémission et je remercie la vie de l’avoir épargnée. Je suis choyée d’avoir fait la rencontre d’humains si extraordinaires et d’avoir conserver des souvenirs de cette grande bataille. Quand l’expression «être la photographe de la famille» prend tout son sens. Je suis privilégiée d’être entrée dans leur cocon et de tenir la main de la belle Élizabeth le temps d’une nouvelle séance photo.

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